Jusqu’au XIXe siècle et les progrès de la science, les rubis, les grenats et les spinelles étaient souvent confondus, c’est pourquoi de nombreuses pierres cataloguées jusque-là comme rubis d’un poids considérable ne sont en fait que des spinelles d’une valeur moindre. A l’instar du « Rubis de Timur », le « Black Prince Ruby » en fait partie.
Pesant 170 carats et mesurant 5 cm de long, il est de forme octaédrique et d’une belle couleur rouge sang. Il provient vraisemblablement de mines du Badakhchan dans le nord de l’Afghanistan. Comme le « Saphir des Stuart », il présente un trou de forage – situé dans sa partie supérieure – mais celui-ci a été bouché avec un petit rubis.
Il doit son nom au Prince Edouard de Woodstock (1330/1376), Prince de Galles et d’Aquitaine, fils aîné du roi Edouard III, qui portait une armure noire sur les champs de bataille, d’où son surnom de Prince Noir. Mais avant que le prince n’en soit propriétaire, ce « rubis » en connut bien d’autres qui souvent s’affrontèrent pour sa possession, son histoire est donc aussi sanglante que sa couleur.
En Espagne, régnaient alors sur certaines provinces des princes maures, dont Grenade où le roi Mohammed fut renversé par son frère Abou Zaid en 1366. Celui-ci s’empara du trône et des bijoux, dont le rubis. Le roi dépossédé courut chercher refuge chez son voisin de Séville Pierre « Le Cruel » pour certains, « Le Justicier » pour d’autres. Ce dernier y vit une belle occasion d’annexer la province de Grenade et ses toutes possessions. Après qu’il eût envahi Grenade, Abou Zaid se rendit avec ses serviteurs et Pierre les invita à un banquet où il les fit assassiner pour s’emparer du fameux rubis qu’il trouva sur le cadavre du prince après l’avoir poignardé.
Mais, peu de temps après, Pierre fut attaqué lui-même par son demi-frère Henri, il s’enfuit de Castille en Aquitaine où le Prince Noir régnait alors et qui s’engagea à l’aider à reconquérir son trône. Quand ce fut fait, Pierre « Le Cruel » lui fit cadeau du rubis en remerciement.
Le Prince Noir meurt avant son père en 1376 et son rubis est ramené en Angleterre un an plus tard pour entrer dans les Joyaux de la Couronne.
Le 25 Octobre 1415, à la bataille d’Azincourt, le roi Henri V d’Angleterre, arbore sur son casque le rubis parmi d’autres pierres quand il reçoit un coup de hache sur la tête porté par le duc d’Alençon et qui aurait dû lui être fatal. Son casque, conservé à l’Abbaye de Westminster et montrant la trace de ce coup, fait naître la légende de la pierre protectrice et, dès lors, les souverains successifs de toutes les maisons font monter la pierre sur leurs couronnes respectives.
Entre 1653 et 1658, Olivier Cromwell prend le pouvoir et ordonne la suppression des Joyaux de la Couronne : une partie est vendue, l’autre détruite. En 1660, la royauté rétablie, Charles II rachète le « Black Prince Ruby » et le fait remonter sur la couronne d’Etat. Ce roi et ses successeurs reconstitueront peu à peu la fabuleuse collection des Joyaux de la Couronne Britannique qui seront encore en danger en 1841, lors d’un incendie dans la Tour de Londres, et pendant la Seconde Guerre Mondiale avec les bombardements dévastateurs de Londres ordonnés par Hitler. Mais ils ne furent pas touchés.
On peut admirer le « Black Prince Ruby » à la Tour de Londres, sur la Couronne Impériale d’apparat où il est serti sur la face avant de celle-ci depuis 1937.